h2.12 - Un homme dans la nuit

 
Mme Martinet avait, à plusieurs reprises, manifesté l’intention de quitter le bois de Misère et la villa des Pavots. Elle trouvait que sa présence y devenait inutile, surtout depuis que Pold négligeait de venir lui tenir compagnie quand les « ombres de la nuit » s’étendaient sur la campagne.
 
Après l’avoir vainement attendu deux soirs de suite, elle s’avoua qu’elle était abandonnée. Elle en conçut un chagrin sans bornes et songea à rentrer à Paris, où son mari et ses affaires de la rue du Sentier la réclamaient impérieusement.
 
Déjà, Martinet, lui avait écrit, la menaçant de la venir chercher si elle ne se résolvait pas à réintégrer le domicile conjugal.
 
Mais, à chaque tentative de départ, Arnoldson trouvait un prétexte pour la retenir, et c’est ainsi que, par un bizarre effet de son caractère, ce matin même d’une journée qui marquera dans l’histoire de ce drame et où nous avons vu l’Homme de la nuit avoir cette scène terrible avec Adrienne, Arnoldson, disons-nous, avait déclaré à Mme Martinet qu’il revenait à sa première idée, qui était de remettre en bleu le cabinet qu’il avait fait transformer en rouge.
 
Mme Martinet avait alors répliqué que sa présence n’était plus nécessaire et que ses ouvriers sauraient parfaitement accomplir un travail auquel ils s’étaient déjà livrés une première fois. Ce raisonnement parut assez logique, et Arnoldson n’insista pas ; mais, comme Mme Martinet faisait ses paquets, elle reçut un mot qui était signé Joe et qui la priait de passer, à six heures moins un quart, à son auberge. Joe la prévenait qu’il était résolu à faire faire d’importants travaux à l’auberge Rouge et qu’il ne reculerait point devant des frais assez considérables pour donner à son hôtellerie un petit cachet d’élégance qui, jusqu’à ce jour, lui avait fait complètement défaut.
 
– Allons ! se résigna Mme Martinet, je resterai donc aujourd’hui encore !
 
– Madame Martinet, lui dit Arnoldson, faites selon votre bon plaisir. Vous êtes ici comme chez vous. Restez, partez ; je serai toujours heureux de vous faire plaisir.
 
Mme Martinet, en attendant six heures moins un quart, cette heure que Joe lui avait fixée pour son entrevue, s’en alla promener fort tristement par les sentiers de Dainville.
 
Elle était vaguement hantée du désir de revoir son Pold et espérait, tout au fond de son cœur, que le hasard le lui ferait rencontrer.
 
Et cette pauvre Mme Martinet était si bonne, son âme de brave petite femme qui trompait son mari était si pleine d’indulgence pour les frasques de son jeune amant qu’elle lui eût certainement encore pardonné ses dures paroles de l’autre soir et son absence prolongée si l’occasion s’en était présentée.
 
Elle ne se présenta point, cette occasion tant espérée. Et, plus triste, plus désolée que jamais, Mme Martinet s’en vint au bois de Misère et prit le chemin de l’auberge Rouge.
 
Elle poussait de gros soupirs et atteignit fort lamentablement le seuil de l’auberge Rouge.
 
La porte en était fermée. Elle heurta et Joe vint ouvrir.
 
– Tiens, bonsoir, madame Martinet.
 
– Ah ! Je vous dérange peut-être, monsieur Joe ?
 
– Eh ! que me dites-vous là ? Nous sommes ici en pays de connaissance.
 
– Bonsoir, madame Martinet, bonsoir.
 
– Eh ! mais c’est le père Jules !
 
– Lui-même ! ma chère madame ! Je passais par là en fumant ma bouffarde, et l’ami Joe m’a prié de venir prendre un petit verre.
 
Joe s’avança, gracieux :
 
– Vous nous ferez bien de l’honneur en trinquant avec nous.
 
– Ah ! monsieur Joe, je n’ai point soif et ne désire rien. Vous êtes trop aimable, en vérité.
 
Joe pria Mme Martinet de s’asseoir, voulut en faire autant, mais auparavant, la fin de la journée s’annonçant superbe, il ouvrit la porte et les fenêtres qui avaient une vue sur la route.
 
En écoutant les papotages de Joe et les potins du père Jules, Mme Martinet regardait la route. Soudain, elle bondit de sa chaise et se précipita vers la porte.
 
Joe et le père Jules la suivirent avec la même précipitation.
 
– Qu’y a-t-il donc ? demandèrent-ils.
 
Ils eurent bientôt l’explication de cette émotion subite. Mme Martinet criait :
 
– Monsieur Pold !
 
Et elle agitait fébrilement son mouchoir dans la direction d’un jeune cycliste qui pédalait avec ardeur sur la route.
 
– Monsieur Pold ! continuait-elle à crier.
 
Mais, soit qu’il allât trop vite pour entendre, soit qu’il ne voulût point entendre, M. Pold, redoublant de vigueur et de vitesse, passa en face de l’auberge sans regarder Mme Martinet.
 
Il était passé qu’elle criait encore :
 
– Monsieur Pold ! Monsieur Pold !
 
Enfin, au moment où il allait disparaître au carrefour de la route, « M. Pold » se retourna sur sa selle et fit, de la main, à Mme Martinet, un signe d’adieu.
 
– Oh ! dit-elle, il m’avait vue et il m’avait entendue ! Et il est passé devant moi comme devant une étrangère !
 
Elle en était horriblement vexée et, maintenant, elle ressentait moins de regret d’avoir perdu ce garçon que de ressentiment de se voir traiter par lui avec tant de sans-gêne.
 
Mme Martinet était cramoisie de colère.
 
– Qui est-ce qui peut me l’avoir changé ainsi ? se demandait-elle.
 
À cette muette question, le père Jules se chargea soudain de répondre :
 
– Ah ! c’est, en effet, M. Pold, dit-il. Il va rejoindre sa maîtresse.
 
Mme Martinet poussa un cri :
 
– Sa maîtresse !
 
Elle crut qu’elle allait s’évanouir.
 
Mais ces commencements d’évanouissement n’avaient, chez elle, jamais de suites. Cela tenait à l’excellent état de sa santé.
 
– Que voulez-vous dire, père Jules, avec la maîtresse de M, Pold ? Ce jeune homme a donc des maîtresses ?
 
– Je ne sais pas s’il a des maîtresses, fit le père Jules, mais je sais qu’il a une maîtresse.
 
– Et laquelle, grands dieux ?
 
– Une maîtresse avec laquelle il va passer la nuit à Paris. Oui, madame, c’est un petit dévergondé. Ainsi il est allé la rejoindre hier, ainsi va-t-il la rejoindre aujourd’hui, ainsi la verra-t-il demain.
 
– Mais son nom ? demanda anxieusement Mme Martinet.
 
– Ah ! son nom ! son nom !
 
Joe intervint :
 
– Tu peux tout dire, mon vieux ! Mme Martinet en sait aussi long que toi et moi là-dessus.
 
– Et comment cela ? interrogea madame Martinet, écarlate.
 
– Mais oui, fit Joe, mais oui… Rappelez-vous les confidences que je vous ai faites, un jour, dans votre magasin de la rue du Sentier.
 
Mme Martinet cria rageusement :
 
– Diane ! ! !
 
Joe approuva de la tête et le père Jules fit :
 
– Diane, parfaitement, Diane. Ah ! elle le perdra, pour sûr… Une tempête s’était déchaînée dans l’âme, ordinairement sans haine, de Mme Martinet. Elle se sentait soudain capable de commettre un crime pour châtier sa sœur de continuer à lui voler son Pold.
 
– Oh ! ça ne se passera pas comme ça ! ne put-elle s’empêcher de s’exclamer.
 
Joe et le père Jules eurent un regard et un sourire d’intelligence.
 
– Tout ça, fit Joe, tout ça, madame Martinet, c’est bien de votre faute.
 
– De ma faute ? Et comment l’entendez-vous ? De ma faute, s’il aime cette Diane, cette femme qui le perdra, après en avoir perdu tant d’autres ?
 
– Oui, madame, continua Joe d’un air entendu, de votre faute.
 
– Expliquez-vous, de grâce…
 
– M. Pold était votre ami, disiez-vous. Si vous aviez eu réellement de l’amitié pour lui, vous l’eussiez empêché de tomber si bas.
 
– En quoi faisant ?
 
– Mais en faisant votre devoir.
 
– Et en quoi, je vous prie, consistait mon devoir ?
 
– Mais en racontant tout à sa famille. Croyez-vous que ce ne serait pas un service à lui rendre que de dire à son père : « Monsieur, votre fils est dans un bien mauvais chemin ; je crois qu’il est temps de l’en faire sortir, et cela vous appartient. Comme je suis son amie, et qu’il est l’ami de mon mari, je crois de mon devoir de vous avertir. Dans quelques jours, dans un mois peut-être, il serait trop tard. »
 
– J’aurais dénoncé Pold à M. Lawrence ?
 
– Sans doute. On ne peut le laisser décemment aux mains de cette femme. Je sais, continua Joe, je sais que c’est votre sœur…
 
– Ah ! ma sœur ou non, c’est une misérable…
 
– Et ce n’est point cela qui vous arrêtera, n’est-ce pas madame ?
 
– Au contraire !
 
Le père Jules prit à son tour la parole :
 
– Ah ! madame, quelle reconnaissance le petit vous aurait plus tard, et combien nous serions heureux, nous, les vieux serviteurs de la famille, que vous prissiez une pareille initiative ! Nous avons bien pensé à une lettre anonyme… Mais, outre que cela est lâche, on ne prend point toujours en considération une lettre anonyme. Ayez donc ce courage, madame. Et écrivez à M. Lawrence que son fils a des rendez-vous la nuit avec cette Diane, dans un rez-de-chaussée de la rue de Moscou.
 
Mme Martinet fut debout :
 
– Ils se voient rue de Moscou ?
 
– Oui, madame.
 
– Ils s’aiment dans ce rez-de-chaussée ?
 
– Oui, madame.
 
Joe fit :
 
– Dans ce rez-de-chaussée que vous lui avez meublé et tapissé…
 
– De mes propres mains, reprit douloureusement madame Martinet. Oui, de mes propres mains !
 
– Vous fûtes bien imprudente, dit Joe. Vous qui étiez d’un âge raisonnable et qui saviez à quoi sont exposés les jeunes gens, vous eussiez dû vous opposer à cette fantaisie. C’est une lourde faute, madame, que vous avez commise là. Et cette faute, vous ne pouvez la racheter qu’en disant tout au père, lequel mettra un frein à tant de débordements.
 
Mme Martinet trouvait les arguments de Joe fort justes. La haine que lui inspirait Diane et la jalousie qui lui déchirait le cœur la portaient à agréer les conseils de Joe et du père Jules. Elle regrettait amèrement la part qu’elle avait prise dans l’établissement de cette garçonnière où elle avait été si heureuse et où une autre avait déjà pris sa place.
 
– Il n’est que temps ! disait le père Jules. Ah ! le petit chenapan ! Il la recevait déjà rue de Moscou avant votre arrivée à la campagne.
 
– Pas possible ! fit Mme Martinet.
 
– Oui, madame, très possible ! Un jour sur deux, il avait rendez-vous avec elle !
 
– Ah ! le scélérat ! s’écria-t-elle.
 
Et elle songeait qu’à cette époque elle avait elle-même rendez-vous avec lui tous les deux jours. L’autre jour était donc pour Diane. Elle était exaspérée.
 
– Du papier ! s’écria-t-elle. Du papier !
 
– Et de l’encre, fit Joe en apportant ce que Mme Martinet demandait si rageusement. Voilà du papier et de l’encre : tout ce qu’il faut pour écrire, ma chère madame.
 
Mme Martinet se mit donc en mesure de dénoncer la conduite de Pold à Lawrence. Il ne faut pas oublier que la pauvre femme ignorait totalement les amours de Lawrence et de Diane et qu’elle ne pouvait se douter une seconde de la gravité extrême de son acte et des drames dont il pouvait être la cause.
 
Quant à Joe et au père Jules, ils étaient dans une grande jubilation. Le but que leur avait assigné Arnoldson était atteint. C’est ainsi qu’ils avaient dit à Mme Martinet que Pold se rendait depuis plusieurs soirs dans sa garçonnière de la rue de Moscou pour y recevoir Diane : or nous savons que Pold n’y avait pas remis les pieds, et qu’il ne s’y rendait ce soir-là que sur la promesse ferme que lui avait faite Arnoldson d’y amener la fameuse demi-mondaine.
 
Pold avait suivi de point en point les indications de l’Homme de la nuit, et il était revenu de Villiers aux Volubilis pour n’en partir qu’à six heures du soir. Pold, après s’être assuré auprès des domestiques qu’on n’était point venu le demander dans l’après-midi, sauta sur sa bécane et se dirigea vers la gare d’Esbly.
 
On lui avait dit que sa mère était dans ses appartements, toujours un peu souffrante, et qu’elle avait prié qu’on ne la dérangeât point. Il ignorait donc totalement qu’il eût pu se passer quelque chose entre Arnoldson et sa mère.
 
À six heures donc, il passa devant l’auberge Rouge avec la rapidité que nous savons et dit adieu sans gêne à Mme Martinet. Arnoldson, avec sa psychologie diabolique, avait prévu cet événement. Il savait que Pold descendrait la côte à six heures. Il y envoya, grâce au mot de Joe, Mme Martinet vers six heures moins le quart, il avait escompté qu’elle verrait Pold, et que celui-ci, pressé, ne s’arrêterait point à son appel.
 
C’était là un excellent point de départ pour le travail auquel il voulait livrer Mme Martinet, et qu’il avait confié aux deux compères Jules et Joe. Il lui fallait une dénonciation de Mme Martinet.
 
Arnoldson avait eu dans l’après-midi son dramatique entretien avec Adrienne et lui avait abandonné les lettres livrées la veille par Pold.
 
À six heures, Pold partait pour Esbly.
 
À six heures et quart, Mme Martinet écrivait ceci, sous l’œil bienveillant de Joe et du père Jules :
 
« Monsieur,
 
« Je crois de mon devoir de vous avertir de la conduite de votre fils et des dangers qu’il court, livré à la plus terrible des femmes.
 
« Votre fils est un brave petit garçon que mon mari a l’occasion de voir de temps à autre, qu’il aime beaucoup. Quant à la femme, je suis mieux que quiconque à même de la connaître, puisque c’est ma sœur.
 
« C’est donc par intérêt pour votre fils et par crainte de cette femme que je me permets d’éveiller votre attention et de faire appel à votre autorité de père.
 
« M. Pold a de nombreux rendez-vous avec celle que j’ai la honte d’appeler ma sœur, à Paris, rue de Moscou, n°… Ce soir même, il vient de quitter les Volubilis pour aller se jeter dans les bras de Diane.
 
« Car ma sœur est cette Diane dont parle tout Paris et qui causa tant de scandales qu’on ne les compte plus.
 
« Agréez, monsieur Lawrence, etc… »
 
Et Mme Martinet signa de son nom d’épouse et donna son adresse, rue du Sentier.
 
Le père Jules opinait du chef. Mme Martinet avait mis sa missive dans une enveloppe. Elle voulut écrire l’adresse.
 
– Nous allons envoyer cela à Paris, n’est-ce pas ? fit-elle.
 
– Non point, non point ! Pourquoi à Paris ? demanda le père Jules.
 
– Mais puisque M. Lawrence s’y trouve à cette heure…
 
– Vous vous trompez, madame Martinet… M. Lawrence n’est plus à Paris.
 
– Cependant, il n’est pas non plus aux Volubilis.
 
– Il n’est ni à Paris ni aux Volubilis. Il a quitté tantôt l’un et il se dirige en ce moment vers l’autre. Il sera ici ce soir même.
 
– Qu’en savez-vous ?
 
– C’est lui-même qui me l’a dit. J’étais dernièrement encore moi-même à Paris, et il m’a annoncé le jour et l’heure de son arrivée aux Volubilis.
 
– Vraiment ?
 
– Vraiment. Il ne saurait même tarder. Tenez, si vous en doutez, dit le père Jules en jetant un regard vers la route, vous n’avez qu’à le voir qui s’avance là-bas, au carrefour. Il sera ici dans cinq minutes.
 
– C’est pourtant vrai ! s’écria Mme Martinet, qui venait de reconnaître Lawrence.
 
– Si vous le désirez, fit le père Jules, je me charge de lui remettre cette lettre.
 
– Vous êtes bien aimable, mais attendez qu’il soit rentré chez lui.
 
Et Mme Martinet remit la lettre au père Jules.
 
Lawrence arrivait en face de l’auberge Rouge. Il passa sans regarder de ce côté. Il paraissait tout pensif et fort préoccupé.
 
Quand il se fut éloigné quelque peu, le père Jules dit à Mme Martinet :
 
– Au revoir, madame Martinet. J’emboîte le pas à mon patron. Il aura votre lettre dans dix minutes.
 
Il salua et quitta Mme Martinet et Joe.
 
Celle-ci n’avait pas de cœur aux affaires. Et, comme Joe commençait, pour détourner le cours de ses idées noires, à l’entretenir du désir où il était d’apporter quelque transformation à l’ameublement de son hôtellerie. Mme Martinet fit :
 
– Un autre jour, monsieur Joe, un autre jour. Je crois bien que je partirai demain pour Paris. Le séjour du bois de Misère m’est devenu odieux. Vous viendrez me voir rue du Sentier, et nous nous entendrons.
 
Soudain, Mme Martinet se leva et s’exclama :
 
– Il ne va pas lui faire de mal, surtout ?
 
– Qui ? demanda Joe.
 
– Mais son père ! Mon Dieu, s’il allait lui faire du mal, à M. Pold !
 
Joe eut un bon sourire.
 
– Il l’aime trop, madame Martinet ! fit-il.
 
La pauvre femme se tamponna les yeux et partit précipitamment pour le pavillon des Pavots.
 
Le père Jules avait donc suivi Lawrence. Le père Jules savait que Lawrence viendrait ce soir-là au bois de Misère, non point parce que celui-ci le lui avait dit, mais parce qu’Arnoldson le lui avait appris en lui dictant ses dernières instructions.
 
Arnoldson, lui, était absolument certain de l’arrivée de Lawrence. Il avait fait le nécessaire pour cela. Il l’avait appelé lui-même en lui envoyant une lettre fort impérative dans laquelle il lui disait qu’un entretien entre eux deux s’imposait relativement aux affaires qu’ils avaient en cours. Arnoldson affirmait que s’il ne le voyait point, le soir même, aux Pavots, où il l’attendait, il y allait pour lui, Lawrence, de sommes considérables.
 
Cette lettre fut remise à Lawrence, à Paris, par un homme à la dévotion d’Arnoldson et dans des conditions telles qu’il ne pouvait prendre que le train qui le descendait à Esbly à l’heure fixée par l’Homme de la nuit pour la réussite de sa combinaison.
 
Une voiture avait conduit Lawrence d’Esbly jusqu’au bas de la montée du bois de Misère. Pendant ce trajet, il était plongé dans des réflexions tellement profondes, qu’il ne vit point un cycliste qui le croisait avec la rapidité de l’éclair. C’était Pold, lequel, lui, reconnut son père et n’eut garde d’attirer son attention.
 
Mais le cocher, qui était un cocher d’une voiture de louage, avait vu Pold. Et, comme il connaissait à peu près tous les étrangers qui venaient l’été dans le pays, il se retourna vers Lawrence et lui dit :
 
– Mais, monsieur, c’est-i pas vot’fils qui s’trotte là-bas à bicyclette ?
 
Lawrence regarda et dit :
 
– C’est lui, en effet !
 
Pold était déjà fort loin ; il ne l’appela pas.
 
– Il s’amuse, dit-il. Une petite promenade… Il va sans doute rejoindre des amis.
 
Et Lawrence se replongea dans le mutisme le plus complet.
 
Avant d’aller aux Pavots, il lui parut impossible de ne point faire tout d’abord une courte visite aux Volubilis, où il irait saluer sa femme et constater par lui-même que la santé d’Adrienne n’était point aussi ébranlée que Pold le lui avait écrit.
 
Il franchit donc la grille des Volubilis. Le père Jules le suivait toujours.
 
Lawrence entra dans la villa, et le père Jules dans sa loge.