h3.09 - Un homme dans la nuit
IX
BATAILLE PERDUE
BATAILLE PERDUE
Joe avait conduit Adrienne dans cette chambre où Arnoldson avait eu, quelques semaines auparavant, une si terrible explication avec le prince Agra.
Quand ils furent seuls, Arnoldson s’avança vers Adrienne en lui adressant un salut fort respectueux et un sourire qu’il voulut faire aimable.
Au fond de son âme, l’Homme de la nuit était très troublé, et, maintenant qu’il estimait que l’heure avait enfin sonné de la réalisation de tous ses désirs, il se découvrait soudain une timidité qu’il ne s’expliquait point tout en la constatant.
Il considérait Adrienne et il avait la certitude que cette femme allait être « sienne », que rien désormais ne pourrait la sauver de sa passion, de cette effroyable passion qu’il nourrissait encore, malgré les drames passés, malgré les vingt années écoulées depuis le coup de revolver de Julesbourg.
Il ne se dissimulait nullement les motifs qui amenaient cette femme dans cette demeure déserte. Et cependant, il ne voulait plus se souvenir qu’elle le haïssait ni qu’il l’avait haïe. Et il le lui dit.
Il faisait des grâces. Il avait des gestes ridicules en montrant à Adrienne un fauteuil où elle pût s’asseoir. Il parlait d’une voix douce, avec des inflexions qui eussent fait mourir de rire et qui faisaient qu’Adrienne se mourait de peur.
Car elle tremblait maintenant et songeait avec effroi à son audace.
Mais, si elle tremblait, c’était moins pour elle que pour Pold, qu’elle savait près de là, et qui allait venir et qui allait lutter contre cet homme, qu’elle jugeait infiniment redoutable…
Mais voici qu’elle songea à Lawrence, tout son courage lui revint.
Il était resté en face d’elle, debout. Après ses premières expansions, il ne semblait point pressé de recommencer à lui parler. Il la regardait. De longues minutes de silence s’écoulèrent ainsi entre eux deux.
Elle dit enfin :
– Vous avez voulu que je vinsse… Me voici.
Il s’inclina encore. Elle continua :
– Vous êtes au comble de vos vœux ?
– Comment pouvez-vous en douter, chère Adrienne ? fit l’Homme de la nuit…
Son apitoiement du début disparut bientôt sous un accès de férocité qu’il voulait contenter immédiatement. Comme il eût voulu la voir souffrir !… et il lui dit :
– Avouez, madame, que ma compagnie ne vous intéresse guère et que vous préféreriez celle de votre fille…
Adrienne reçut le coup sans broncher… Elle lui jeta un regard méprisant et répliqua :
– Vous allez me la rendre, ma fille ?
– Certes, madame. Je ne doute point que vous ne soyez venue ici moins pour moi que pour elle.
Adrienne fixait alors le cadran d’une pendule sur la cheminée et trouvait la marche des aiguilles bien lente…
Elle n’ignorait point le projet de Mme Martinet, et le coup d’œil que lui avait lancé celle-ci quand elle l’avait priée de la laisser seule en bas avec Joe lui avait fait saisir tout le plan de Marguerite.
Ce plan avait-il été mis à exécution ? Allait-il l’être ? Dans tous les cas, il était prudent de temporiser…
Arnoldson s’était approché d’elle encore. Elle sentit son regard qui la brûlait derrière ses lunettes noires…
– N’est-ce pas, fit l’Homme de la nuit, n’est-ce pas que vous ne seriez point là si Lily était… aux Volubilis, par exemple ?… Mais elle n’est pas aux Volubilis, Lily !
Et Arnoldson, se précipitant sur la malheureuse, l’étreignit. Mais Adrienne se défendait. Comme il revenait sur elle, il dit, cynique :
– Si vous croyez que c’est là le moyen de reconquérir votre fille…
Adrienne le vit si confiant, si certain de sa victoire qu’elle ne résista pas plus longtemps à l’ardent désir de voir cet homme s’effondrer devant la réalité des faits…
– Sache donc, lui cria-t-elle… sache donc que Lily ne craint plus rien de toi… Sache qu’elle est à l’abri de tes coups et que tu ne peux plus rien contre elle… et que tu ne peux plus rien contre moi !
– Que dis-tu là ? hurla l’Homme de la nuit.
– La vérité, Lily, hier, m’a été rendue.
– Tu mens ! Tu mens !…
– Et veux-tu savoir qui me l’a ramenée, aussi pure que jamais ?… C’est le prince Agra lui-même. C’est ton fils !… Ton fils qui l’aime… et qui l’a respectée !…
Arnoldson était assommé sous le coup de cette révélation. La crispation de son visage était effroyable à contempler…
Sa vengeance… la vengeance de vingt ans lui échappait… et par la trahison de son fils…
Il poussa une sorte de rugissement…
– Ta fille m’échappe, fit-il d’un accent féroce… Mais toi, tu ne m’échapperas pas !
Et, il se rua sur elle.
Adrienne avait sorti un revolver, mais elle n’eut pas le temps d’en user. L’Homme de la nuit, lui comprimant le poignet, s’était, avec la rapidité de l’éclair, emparé de l’arme et l’avait jetée loin d’elle.
– Tu ne m’échapperas pas ! répétait-il.
Elle voulut fuir. Mais il la rejoignit.
Enfin, avec un grand cri d’appel, elle parvint encore à se débarrasser de son ignoble étreinte et elle arriva jusqu’à la porte. Elle se jeta dans l’escalier. Derrière elle, Arnoldson accourait et clamait :
– Joe ! Joe ! Arrête-la ! Arrête-la !
Il parvint au bas de l’escalier et fit irruption dans la salle presque en même temps qu’elle.
Et il bondit du côté de la porte, y devança Adrienne, lui coupant cette retraite.
C’est alors qu’il vit, étendus, l’un sur la table, l’autre sur le carreau, les corps de Joe et de Mme Martinet.
– Ah !… fit-il. Quel drame s’est donc passé ici ?…
Mais la porte, à ce moment précis, s’ouvrit derrière lui. Il se retourna brusquement et se trouva en face de M. Martinet, qui dirigeait sur lui le canon de son revolver.
– Martinet ! À mon secours ! lui cria Adrienne. Tirez ! Mais tirez donc !
– Ne craignez rien, madame, fit Martinet, très calme. Je tirerai… mais pas en ce moment, car je risquerais de vous atteindre…
L’Homme de la nuit fit un bond soudain du côté de la fenêtre, espérant s’échapper par ce chemin. Mais, debout sur la pierre de la fenêtre, apparut Pold.
Arnoldson eut un geste de désespoir.
– Je suis trahi ! s’écria-t-il… Et je suis pris !
– Oui, mon vieux ! fit Pold, qui paraissait aussi calme que Martinet, tu es trahi !… tu es pris !… Et nous allons régler nos comptes !