c13 - Les cages flottantes

Les jours qui suivirent amenèrent un grand changement dans la vie générale du bord. L’ordre et la discipline régnèrent en souveraines maîtresses. Depuis qu’ils se savaient riches, les forçats acceptaient, presque avec joie, la nécessité de se plier à la règle.
 
Ils travaillaient avec entrain pour le bien-être et la sécurité de tous.
 
Le Bayard s’appelait maintenant Estrella (l’Étoile) et battait pavillon argentin. Désormais sûr de ses hommes, Chéri-Bibi se relâcha de la surveillance de tous les instants dont les familles de surveillants avaient été jusqu’alors l’objet. Les femmes et les enfants purent venir comme autrefois jouer et bavarder sur la plage arrière qui leur fut réservée pendant certaines heures du jour. Les prisonniers furent bien traités et on leur permit de temps à autre de sortir de leurs cages pour venir respirer un peu d’air frais sur le pont. Ceux qui avaient leur famille à bord eurent le droit de communiquer avec elle.
 
Il est vrai que le débarquement de tout le monde avait été renvoyé à une date encore lointaine et indéterminée. Ceci avait été décidé avec bien d’autres choses en un conseil qui avait duré de longues heures et où s’étaient trouvé réunies toutes les fortes têtes du bagne.
 
Il était en effet impossible de remettre qui que ce fût en liberté avant la rentrée des fameux cinq millions. C’eût été apprendre au monde qui le croyait perdu corps et biens que le Bayard naviguait toujours avec sa cargaison de forbans.
 
Plus tard, quand on serait en sécurité et que l’on serait riche, et tout à fait à l’abri dans les archipels de la Malaisie, on verrait à se débarrasser de ces encombrants colis humains qu’il fallait nourrir avec les ressources du bord. Heureusement celles-ci paraissaient inépuisables et elles pouvaient être facilement renouvelées, de force s’il le fallait, sur un des points sans défense de la côte d’Afrique où la civilisation européenne a établi ses comptoirs.
 
Le principal, pour le moment, était de débarquer au plus tôt le lieutenant de Chéri-Bibi qui devait rapporter les millions.
 
Le choix s’était porté sur la Ficelle, qui avait fait preuve d’un dévouement sans bornes pour son chef et qui avait été l’artisan de la libération des forçats à bord du Bayard. Du reste, on lui avait fait entendre que la vengeance de ceux-ci ne se ferait pas longtemps attendre, en quelque point du monde qu’il se trouvât, s’il ne marchait pas droit et s’il ne se conduisait pas en honnête homme.
 
La Ficelle avait trop l’habitude de son monde pour ignorer qu’il était impossible d’échapper à la vindicte de la chiourme quand celle-ci avait prononcé son jugement. Enfin, il n’aimait qu’une chose sur cette terre : c’était Chéri-Bibi.
 
Il aurait préféré qu’on ne l’en séparât point, mais celui-ci avait ordonné et il n’avait plus qu’à obéir.
 
Le marquis du Touchais avait tout arrangé pour que la mission de la Ficelle lui fût rendue facile. La Ficelle partirait avec les papiers et les indications nécessaires. Il verrait la marquise et certain notaire à Paris. Ceux-ci seraient prévenus par lui, la Ficelle, et par les déclarations écrites du marquis, que la moindre indiscrétion coûterait la vie aux prisonniers de Chéri-Bibi.
 
Si le chiffre de la rançon n’avait été fixé par Chéri-Bibi qu’à cinq millions, c’est qu’il était résulté des explications du marquis à ce sujet qu’il serait impossible à Cécily et au notaire de Paris de réaliser en banknotes une somme plus forte dans l’espace de temps assez restreint (quelques mois) que l’on donnait à la Ficelle pour terminer l’affaire. Les billets de banque devaient être, au fur et à mesure, changés par la Ficelle avant son retour, et par conséquent avant la libération du marquis, de telle sorte qu’on n’eût plus tard rien à craindre d’une opposition sur les numéros. Bref, ces messieurs croyaient bien avoir pensé à tout.
 
Un instant, ils avaient songé à charger la sœur de Chéri-Bibi, Marie-des-Anges, de la difficile commission, mais outre que la pauvre fille était dans un état de santé des plus alarmants, Chéri-Bibi s’était refusé à mêler la sainte fille à toutes ses « histoires d’assassin », comme il disait dans ses moments de neurasthénie.
 
On marchait donc à toute vapeur sur Capetown, et la vie à bord était assez monotone, quand un événement extraordinaire vint jeter l’équipage, en général, et la Ficelle en particulier, dans un émoi indicible.
 
Il est bon de dire tout d’abord que personne n’avait revu le marquis, pas même ses amis, qui étaient libres de vivre à bord comme ils l’entendaient, se faisant servir entre eux et adressant bien rarement la parole à ceux-là mêmes qui les servaient et qu’ils voyaient, du reste, toujours avec effroi ; mais il leur était défendu d’approcher de l’endroit où on leur avait dit que le marquis se trouvait. Nul, en dehors du Kanak, de la Comtesse et de Chéri-Bibi n’avait ce droit-là. On disait le marquis relégué dans une grande cabine obscure attenant à l’infirmerie, mais que l’on avait isolée entièrement, par une cloison de fortune, de l’infirmerie elle-même.
 
Devant la porte de cette cabine, il y avait toujours un planton de garde qui avait mission de tirer sur toute personne qui tenterait de se diriger vers cette porte.
 
L’explication officielle de cet isolement avait été donnée par Chéri-Bibi. Le marquis était atteint d’une maladie contagieuse.
 
On avait pensé tout de suite au choléra, ou à la fièvre jaune, ou à quelque chose d’approchant, et puis, en voyant aller et venir, sans aucune précaution, le Kanak et la Comtesse qui soignaient ce malade si dangereux, et Chéri-Bibi qui lui rendait visite, l’équipage avait eu vite fait de s’imaginer qu’il n’y avait dans la cabine, en fait de malade, qu’un prisonnier représentant cinq millions, que l’on gardait avec tous les honneurs et toutes les précautions dus à son rang et à sa fortune.
 
L’idée de la réelle maladie possible du marquis, maladie pouvant entraîner la mort, n’avait point outre mesure agité les forçats, car ils savaient que Chéri-Bibi avait déjà par-devers lui tous les papiers et toutes les signatures du marquis, et que si le malheur voulait que celui-ci mourût, l’équipage n’en toucherait pas moins les cinq millions, en fût-il réduit à rendre, en échange, un cadavre. Mais la pensée, plus simple, qui leur vint par la suite, comme nous avons dit, d’une captivité soignée, les amusa. Et c’est avec des sourires qu’ils demandaient de temps à autre des nouvelles du marquis à Chéri-Bibi, qui, lui, ne souriait point.
 
Au contraire, on ne l’avait jamais vu aussi taciturne. Du reste, il ne se montrait guère, se faisait servir chez lui, répondait par monosyllabes aux interrogations inquiètes de la Ficelle et ne sortait de son carré que pour se rendre auprès du marquis ou pour faire visite à sa sœur.
 
Or, un soir vint où la Ficelle qui le guettait, de plus en plus intrigué par son attitude étrange et ses airs de douloureuse préoccupation, le vit entrer chez le marquis avec le Kanak et la Comtesse et ne l’en vit point ressortir. La Ficelle était résolu, cette nuit-là, à poser des questions sérieuses, car il craignait que Chéri-Bibi ne tombât malade.
 
L’angoisse de la Ficelle ne fit que grandir quand, vers les quatre heures du matin, il vit descendre de la cabine la Comtesse, les manches retroussées jusqu’au coude et la figure toute chavirée. Il courut à elle, quitte à se laisser fusiller par le planton. La Comtesse le repoussa, courut à sa propre cabine, en revint avec un coffret qu’elle dissimulait sous un châle et pénétra à nouveau chez le marquis.
 
À huit heures du matin, personne ne s’était encore montré.
 
Enfin la Comtesse reparut suivie du Kanak, qui avait un visage bien étrange. Cependant ils paraissaient calmes tous deux. Aux questions de la Ficelle concernant Chéri-Bibi, ils répondirent que celui-ci se portait bien, qu’il était un peu fatigué par ses travaux avec le marquis, mais qu’il n’y avait aucunement lieu de s’alarmer.
 
« Vous devriez lui dire d’être raisonnable, de se reposer », gémit la Ficelle, pitoyable.
 
Mais le Kanak lui répondit d’une voix glacée :
 
« Chéri-Bibi est assez grand pour faire ce qu’il veut. »
 
Et il passa, sans plus.
 
La Ficelle resta en face de cette mystérieuse cabine dont le silence l’épouvantait. On n’entendait jamais rien là-dedans. Aucun bruit n’en venait jamais. Déjà, lorsque le marquis s’y trouvait tout seul, la Ficelle ne pouvait passer aux environs sans frissonner. Et maintenant, une angoisse épouvantable l’étreignait à l’idée que Chéri-Bibi, comme le marquis, n’en sortirait plus. Quelques minutes plus tard, un second garde vint, par ordre supérieur, prier la Ficelle de s’éloigner.
 
La matinée du lendemain s’écoula dans des inquiétudes qui ne faisaient que croître. Le jeune homme questionna les gardes qui avaient été de service devant la petite porte, mais ceux-ci lui répondirent qu’ils n’avaient vu sortir ni entrer Chéri-Bibi. Où était Chéri-Bibi ? Toujours dans la cabine, évidemment ! Et qu’y faisait-il ? L’extraordinaire était que depuis vingt-quatre heures on ne portait plus à manger dans cette cabine-là. Les angoisses de la Ficelle gagnèrent peu à peu tout l’équipage. On ne voyait plus Chéri-Bibi. On voulait le voir. On aurait bien questionné le Kanak et la Comtesse, mais, enfermés eux-mêmes dans la cabine depuis des heures, ils restaient à leur tour aussi invisibles que le marquis et Chéri-Bibi.
 
L’émoi fut à son comble quand, tous les officiers réunis dans leur carré pour le déjeuner, Gueule-de-Bois décacheta et lut un pli que venait de lui faire remettre le garde de planton devant la fameuse cabine. Le papier contenait d’abord trois phrases brèves de Chéri-Bibi : « Ordre d’obéir en tout au Kanak jusqu’à ce qu’on me revoie. Le Kanak ne fera que vous transmettre mes instructions. Obéir au Kanak, c’est obéir à Chéri-Bibi. » Sous ces trois phrases la signature de Chéri-Bibi. Et puis ces lignes de la main du Kanak :
 
« La Comtesse et moi soignons Chéri-Bibi qui a attrapé, en le soignant, les fièvres du marquis. La vie de Chéri-Bibi n’est pas en danger, mais il nous est impossible de le quitter pour l’instant. Prière à Gueule-de-Bois et à tout l’état-major de rassurer l’équipage. »
 
Les bandits se regardèrent. La Ficelle, qui était venu aux nouvelles, lut et relut le papier. Tout cela paraissait tellement mystérieux que nul n’osait émettre une hypothèse. Du coup, tout l’équipage se trouva désemparé et une morne tristesse régna à bord. Chéri-Bibi était malade ! Il n’y avait pas un homme parmi ces forçats qui n’eût donné l’un de ses membres pour le sauver. Pour sûr, que le choléra était à bord ! Et eux qui avaient cru à la blague !
 
Les surveillants qui avaient été successivement de garde devant la porte de la cabine avaient échangé leurs réflexions et celles-ci maintenant couraient tout le bâtiment. Ce qui les avait étonnés par-dessus tout, c’était cet incroyable silence.
 
Quand le marquis et Chéri-Bibi se trouvaient seuls dans la cabine, les gardes n’entendaient aucun murmure, lequel serait fatalement venu jusqu’à leurs oreilles s’il y avait eu, derrière la porte, la moindre conversation. De même, lorsque la Comtesse et le Kanak pénétraient dans la cabine, cette entrée n’était suivie d’aucun échange de paroles dont on eût perçu l’écho.
 
Le service ménager était entièrement fait par la Comtesse, et ce service se réduisait à très peu de choses… Peu de nourriture venu du dehors, quelques bols de tisane, de bouillon et c’était tout, et encore pas tous les jours. On eût dit que cette cabine était habitée par de purs esprits.
 
Enfin tout de même, le dernier jour, un garde avait entendu d’effrayants soupirs. Il ne pouvait dire, naturellement, qui les avait poussés.
 
La sortie du Kanak et de la Comtesse fut attendue ce jour-là avec une impatience que l’on comprendra facilement. Or, on ne les revit ni l’un ni l’autre. On entendait seulement leurs pas de temps en temps.
 
La Ficelle, qui ne dormait point depuis plusieurs nuits, se laissa finalement aller au sommeil, bien qu’il s’en défendît. Il dormait comme une brute quand un camarade surveillant, qui venait de cesser sa garde près de la cabine, le réveilla.
 
Cette fois, le garde avait parfaitement entendu la voix de Chéri-Bibi, une voix très lasse qui grognait et qui disait (du moins le garde avait cru entendre cela), qui disait : « Pas les mains ! Pas les mains ! » La Ficelle fut debout immédiatement.
 
« Pour sûr, il est arrivé un malheur à Chéri-Bibi ! »
 
En même temps, puisqu’il était impossible d’approcher de la cabine, il pénétrerait dans l’infirmerie, sous n’importe quel prétexte, et là, en collant son oreille contre la nouvelle cloison, il pourrait peut-être entendre quelque chose.
 
Terriblement anxieux, quelques minutes plus tard il était à son poste, et, en effet, là, il entendit… Le garde n’avait pas rêvé. Chéri-Bibi continuait de se plaindre, mais – événement extraordinaire – ses plaintes, qui eussent, en toute autre occasion, dénoncé une souffrance personnelle, plaignaient l’autre. Car il n’y avait pas d’erreur, il voulait qu’on laissât l’autre tranquille. Qu’est-ce qu’on lui faisait donc à l’autre ? La voix de Chéri-Bibi disait en gémissant : « C’est assez comme ça ! Laissez-lui ses mains ! Laissez-lui ses mains ! C’est atroce ! Ah ! non, pas les mains ! Pas les mains ! » Et là-dessus Chéri-Bibi poussait un effroyable soupir. Quant à l’autre, on ne l’entendait pas. Il ne se plaignait pas. C’était à n’y rien comprendre.
 
Cependant la Ficelle était au courant de bien des choses. Depuis qu’il servait Chéri-Bibi, celui-ci lui avait fait bien des confidences. Et lorsque la Ficelle avait appris à bord que l’un des naufragés était le marquis du Touchais, il avait frémi pour le riche gentilhomme. Que Chéri-Bibi se vengeât du mari de Cécily en le martyrisant ou en le faisant martyriser, c’était dans l’ordre des choses du bagne. Mais pourquoi, puisque c’était le marquis que l’on martyrisait, était-ce Chéri-Bibi qui gémissait, qui soupirait ?
 
Et quels soupirs !
 
La Ficelle avait froid dans les moelles.
 
Un moment, il reconnut la voix du Kanak qui disait sur un ton dur :
 
« Chéri-Bibi, tu sais bien que tu ne dois pas parler ! »
 
Et Chéri-Bibi répondit :
 
« C’est bien, je ne dirai plus un mot, mais c’est assez comme ça ! Laissez-le tranquille ! Je ne veux pas que vous touchiez à ses mains ! Non ! non ! pas les mains ! »
 
Deux infirmiers et une infirmière étaient venus rejoindre la Ficelle, et tout ce monde écoutait derrière la cloison, sans rien comprendre, mais avec la sensation qu’il se passait derrière ces planches quelque chose de bien abominable.
 
Ils auraient bien voulu se communiquer leurs réflexions, leurs affres ; mais, d’un signe de la main, la Ficelle les faisait taire, et ils se reprenaient à écouter.
 
Le silence s’était rétabli dans la cabine.
 
On n’entendait plus ni parole, ni grognement, ni soupir, ni rien. Un quart d’heure se passa et la Ficelle et ses compagnons se redressaient, fatigués de leur position d’attente, quand la voix de la Comtesse, qui ne s’était pas fait entendre jusqu’alors, leur arriva, et combien nettement !
 
« Si Chéri-Bibi était raisonnable, disait-elle, on en finirait tout de suite. »
 
Le Kanak répondit :
 
« Oui, mais il ne l’est pas ! tant pis pour lui ! »
 
Et la voix de Chéri-Bibi :
 
« Ah non ! laissez-lui ses mains, laissez-lui ses mains ! Vous voyez bien que je souffre trop ! »
 
Ah, çà, mais qu’est-ce qu’on pouvait leur faire aux mains du marquis, et pourquoi les mains du marquis faisaient-elles souffrir Chéri-Bibi ?
 
Il y avait de quoi devenir fou, d’autant plus que Chéri-Bibi s’était remis à soupirer et à chaque soupir le cœur de la Ficelle se déchirait. Le pauvre garçon était prêt à tomber en défaillance. La suite de la conversation n’était point faite, du reste, pour le remettre.
 
Chéri-Bibi râlait :
 
« Ah les démons !… les démons !… les démons !
 
– Si tu parles encore, interrompit le Kanak, je serai obligé de t’appliquer le bâillon. La Comtesse, passe-moi le bâillon !
 
– Non, non, fit Chéri-Bibi, pas de bâillon ! Je ne parlerai plus, mais laissez-lui ses mains ! Ah ! il en a assez ! Que je souffre !… que je souffre !… que je souffre ! »
 
La Ficelle, qui tremblait de tous ses membres, n’y tint plus ; la voix sourde et toute changée de sa peur, il cria :
 
« Chéri-Bibi, c’est moi !… Veux-tu que je vienne… ? »
 
Il y eut alors un grand silence à côté.
 
La Ficelle recommença son appel de plus en plus désespéré, de plus en plus suppliant :
 
« Chéri-Bibi, c’est moi, la Ficelle. »
 
Et il frappa des coups contre la cloison. Mais on lui frappait en même temps sur l’épaule. Gueule-de-Bois était derrière lui.
 
Le garde était venu trouver Gueule-de-Bois par ordre de Chéri-Bibi « pour qu’on mît la Ficelle aux fers » pendant vingt-quatre heures.
 
« C’est vrai que tu m’envoies aux fers, Chéri-Bibi ? Toi !… ça n’est pas possible !… Crie-leur que non et nous irons te délivrer !… Chéri-Bibi ! Chéri-Bibi ! »
 
Mais Chéri-Bibi ne répondait pas et on entraînait la Ficelle.
 
« Mon Dieu ! Mon Dieu !… Qu’est-ce qu’il peut bien se passer là-dedans ? » gémissait le malheureux garçon en suivant Gueule-de-Bois.
 
La Ficelle fit ses vingt-quatre heures de fers. Sa peine écoulée, il s’en fut aux renseignements. Rien de nouveau. Le Kanak n’était pas encore sorti de la cabine. La Comtesse seule l’avait quittée pendant quelques minutes, avait couru aux cuisines faire chauffer du bouillon dans lequel elle avait versé on ne sait quel ingrédient, et puis elle était retournée auprès du Kanak sans répondre un mot à tous ceux qui l’interrogeaient. Elle était alors enveloppée d’un manteau qui la couvrait tout entière, cachant une blouse blanche, dont on apercevait, par le bas, un coin ensanglanté, et elle avait des gants. Sa figure était, paraît-il, terrifiante à voir. Elle avait laissé entre les mains de Gueule-de-Bois un dernier ordre disant :
 
« Tout va bien ; le Kanak est mon homme. Signé : Chéri-Bibi. »
 
« Ils lui font croire ce qu’ils veulent, ces brigands-là », s’écria la Ficelle.
 
Et il demanda si l’on avait encore entendu des plaintes, des gémissements.
 
Rien, on n’avait plus rien entendu. Ah ! si !… la voix du Kanak disant au garde à travers la porte qu’on le verrait dans la journée et qu’on ne s’inquiète pas…
 
« Qu’on ne s’inquiète pas ! Il est bon, lui !… »
 
Et, naturellement, la Ficelle s’inquiétait.
 
Et soudain il disparut à son tour.
 
Il était allé fouiner dans la cabine particulière du Kanak et de la Comtesse, y avait trouvé, dans des coffres et dans des trousses, les instruments de chirurgie du précédent service chirurgical mort au champ d’honneur ; en somme, rien d’extraordinaire. Mais il ne quitta pas la cabine. Il pensa que tôt ou tard le Kanak et la Comtesse y reviendraient et qu’il ne serait pas fâché de surprendre leur conversation.
 
Dans ce dessein, il se dissimula sous une couchette et attendit là, patiemment, pendant trois ou quatre heures. Enfin le Kanak et la Comtesse parurent. Ils fermèrent la porte. Ils avaient des visages de fantômes qui viennent de subir les tortures de l’enfer ou de goûter à ses joies, et ils se débarrassèrent rapidement des vêtements qui les enveloppaient, ainsi que de leurs gants. Ils étaient couverts de sang. On eût pu croire qu’ils sortaient d’un bain de sang.
 
La Ficelle, qui était d’un tempérament un peu flasque, poussa un gémissement et commença de s’évanouir.
 
Le Kanak et la Comtesse se penchèrent aussitôt, découvrirent le pauvre jeune homme, le tirèrent de dessous la couchette et le remirent tant bien que mal sur ses pieds.
 
« Que fais-tu là ? » interrogea le Kanak dont la colère était terrible à contempler.
 
Ses yeux lançaient des éclairs et ses dents s’avançaient comme s’il allait mordre le malheureux la Ficelle.
 
Celui-ci flageolait, s’appuyait à la cloison pour ne pas tomber, mais il ne manqua pas de courage.
 
« Je voulais vous surprendre, assassin ! dit-il, mangeur de chair humaine ! »
 
Il reçut une gifle, lancée à tour de bras par la Comtesse.
 
« Laisse donc, Ketty ! fit le Kanak en retenant le bras de la Comtesse, qui était déjà parti pour un nouveau voyage. Laisse donc ce pauvre garçon, Chéri-Bibi se chargera bien de le corriger lui-même.
 
– Chéri-Bibi ! qu’en avez-vous fait, misérables ? continua le pauvre la Ficelle, en se frottant la joue qui brûlait. Est-ce que vous l’avez mangé aussi ? »
 
Cette fois, le Kanak lui sauta à la gorge et la Ficelle râla sous le poing crispé, pendant que l’autre lui crachait des mots furibonds :
 
« Demande pardon à la Comtesse ! Demande pardon à la Comtesse ! »
 
Mais la Ficelle ne pouvait rien demander du tout. Il étouffait. La langue lui sortait de la bouche et s’allongeait comme une langue de pendu.
 
« Heureusement pour toi, malheureux, que nous t’avons aperçu tout de suite. Si tu avais entendu seulement un mot de ce qui ne te regarde pas, ton affaire était bonne ! Allons, décanille ! »
 
Et il le rejeta dans le couloir. La Ficelle s’étala de tout son long et resta là quelques secondes avant de reprendre sa respiration. Gueule-de-Bois et le Rouquin, qui passaient, le ramassèrent et il leur conta sa mésaventure.
 
Il les suivit en maudissant le Kanak et sa compagne, en affirmant qu’il se passait à bord des choses qui n’étaient pas claires et que tout le monde « finirait par payer ! » Les « deux poteaux » n’osaient lui répondre, mais il les sentait de son avis.
 
Le mystère qui entourait l’inexplicable absence de Chéri-Bibi commençait à peser bien lourdement à bord ; il y avait des conciliabules dans tous les coins. Encore une fois on ne croyait plus à l’épidémie. Ce n’était pas en soignant les fièvres ou le choléra que le Kanak et la Comtesse, bien sûr, « s’étaient mis comme des bouchers ».
 
Bref on était d’avis que, coûte que coûte, il fallait être fixé sur le sort de Chéri-Bibi. Il fallait le voir et lui parler. Telles étaient les dispositions générales de l’équipage quand le Kanak fit savoir à l’état-major qu’il l’attendait au rapport dans le salon du commandant.
 
Ces messieurs s’y précipitèrent.
 
Le Kanak les reçut, assis tranquillement derrière la petite table-bureau et compulsant des papiers avec une apparente tranquillité d’esprit qui, dès l’abord, rassura tout le monde. Certes, le Kanak était pâle et paraissait fatigué ; toutefois il n’avait point la mine aux mauvaises nouvelles.
 
Il leur parla, pour commencer, de leurs divers services, posa plusieurs questions relatives aux prisonniers, aux provisions, à la quantité de charbon dont on disposait encore dans les soutes. Le Kanak, parmi tous ces hommes, était le seul, peut-être, qui connût quelque chose à la navigation, assez, en tout cas, pour surveiller la route et commander aux hommes de l’ancien bord qui devaient continuer leur service, sous peine de mort. Aussi, généralement, était-il écouté et obéi.
 
Mais, cette fois, il avait affaire à des esprits distraits qui ne songeaient qu’à Chéri-Bibi. Ils étaient étonnés qu’il ne leur en parlât point, alors qu’il n’y avait que cette question-là qui les intéressât. Leur stupeur fut extrême quand ils reçurent l’ordre de se retirer.
 
Ils restèrent.
 
Et Gueule-de-Bois prit la parole.
 
« Capitaine, dit-il avec une affectation de grande politesse et de correction militaire, dans peu de jours nous serons à Capetown.
 
– Oui ! eh bien ?
 
– Les plus graves résolutions devront être prises.
 
– Et après ?
 
– On ne pourra les prendre sans Chéri-Bibi. Capitaine, tous les hommes sont très inquiets, rapport à Chéri-Bibi. On ne peut pas rester plus longtemps sans savoir ce qu’il devient. Voilà ce que j’avais à dire. Nous voudrions voir Chéri-Bibi !
 
– Oui ! oui ! nous voulons le voir ! approuvèrent tous les autres.
 
– Impossible ! répondit laconiquement le Kanak.
 
– Bien sûr, fit Petit-Bon-Dieu, qu’il ne peut pas voir tout le monde, mais on pourrait lui déléguer l’un de nous. Tenez, nous ne demandons pas grand-chose : que la Ficelle aille le voir cinq minutes seulement ! Et puis après nous serons tranquilles.
 
– Ni la Ficelle, ni personne. Impossible ! répéta, têtu, le Kanak.
 
– Eh bien, alors, laissez-nous lui parler à travers la porte et qu’il nous réponde.
 
– Chéri-Bibi, en ce moment, ne peut rien dire.
 
– Et pourquoi donc ?
 
– Parce qu’il ne peut pas parler.
 
– Eh bien, qu’il écrive, mais qu’il nous dise ce qui lui arrive, qu’il nous rassure ! Si c’est quelque chose que tout le monde ne peut pas connaître, il n’y aura que deux de nous qui le liront et nous ne demanderons plus rien !
 
– Chéri-Bibi ne peut plus écrire.
 
– Ah, çà, le Kanak, tu t’offres nos bobinasses ! s’exclamèrent-ils, oubliant toute discipline et perdant la dignité qu’aurait dû leur conférer leur nouvelle situation. Tu ne sortiras pas d’ici sans nous avoir expliqué…
 
– Vous ferez ce que vous voudrez, mais moi je ne vous expliquerai rien du tout.
 
– Eh bien, nous pénétrerons de force dans la cabine !
 
– Ce que vous voudrez, je vous dis. Seulement, après, ne venez pas réclamer les cinq millions.
 
– Ah ! c’est pour les cinq millions !…
 
– Pourquoi donc voulez-vous que ce soit ! Laissez donc Chéri-Bibi travailler comme il l’entend avec le marquis. Il sera toujours temps de lui demander des explications quand il lui aura fait cracher le magot ! Et maintenant, messieurs, je ne vous retiens pas. »
 
Ils sortirent tous désemparés. La Ficelle ne disait rien. On lui demanda ce qu’il pensait de tout cela. Il secoua la tête en disant qu’il avait son idée.
 
L’équipage était de plus en plus effaré. Comment Chéri-Bibi pouvait-il « travailler aux cinq millions », s’il ne pouvait ni parler ni écrire ?
 
Le lendemain, le Kanak et la Comtesse étaient enfermés depuis une demi-heure avec Chéri-Bibi et le marquis quand, tout à coup, s’éleva, venant de la cabine, un étrange hurlement. C’était comme un chien qui aboie à la mort. On s’entassait dans les couloirs et tous les yeux étaient fixés sur la porte derrière laquelle le ululement continuait de monter, de monter affreusement sinistre. Seuls, une bête ou un fou pouvaient faire entendre une voix pareille. Et, cette fois, on reconnaissait parfaitement la voix du marquis, surtout quand, à ce ululement, se mêlaient d’étranges syllabes douloureuses, dont il était impossible de comprendre le sens.
 
Et puis le ululement se changea en cris, en aboiements féroces, et puis en sanglots extravagants. Et puis, subitement, plus rien.
 
La foule des forçats resta là encore plus d’un quart d’heure, avec des yeux d’épouvante. Et, peu à peu, comme on n’entendait plus rien, ils s’en allèrent.
 
Dans la nuit, plus tard, on entendit encore quelques gémissements, et c’était encore le marquis. On n’entendait plus jamais Chéri-Bibi. Et cela devenait encore plus angoissant que lorsqu’il gémissait.
 
La Ficelle ne quittait plus le pont, sombre, farouche, ne répondant à personne.
 
Un soir, la vigie cria : « Terre par bâbord avant ! » Alors la Ficelle, poussant un soupir, dit : « Enfin ! »
 
Quelques minutes après, le Kanak venait au-devant de lui.
 
« La Ficelle, dit-il, voici la terre. Dans quelques heures nous serons à Capetown. Tu sais que nous devons te débarquer un peu au-dessous de Malmesbury. Fais ton paquet, mon garçon. On te donnera tous les papiers qu’il faut et tu trouveras tout le plan de ton affaire, de la main même de Chéri-Bibi. Es-tu prêt ?
 
– Non ! répondit la Ficelle, qui avait son idée.
 
– Pourquoi ?
 
– Parce que je refuse de me charger de cette mission-là sans avoir vu une dernière fois Chéri-Bibi.
 
– C’est ton dernier mot ?
 
– C’est mon dernier mot !
 
– Je puis le répéter à Chéri-Bibi ?
 
– Je t’en prie, le Kanak !… »
 
Tout l’équipage fut bientôt au courant du différend et donna raison à la Ficelle. La fièvre était générale et certainement les plus exaltés allaient se porter à quelque extrémité quand le Kanak reparut et dit simplement :
 
« Chéri-Bibi recevra la Ficelle avant son départ. »
 
Alors il y eut des cris et des applaudissements.
 
Le jeune homme alla faire son paquet, ému plus qu’on ne saurait le dire. Il faisait nuit noire quand le Kanak vint le chercher. La Ficelle le suivit en tremblant. Enfin la porte de la cabine fut poussée pendant que Gueule-de-Bois, Petit-Bon-Dieu, Boule-de-Gomme et le Rouquin attendaient, dehors, le résultat de l’entrevue.
 
En pénétrant dans la cabine, la Ficelle, d’abord, ne distingua absolument rien. Il n’y avait aucune lumière là-dedans. Puis peu à peu ses yeux se firent à l’obscurité et il aperçut, à la faible lueur tombée des hublots, d’abord la silhouette debout de la Comtesse, et puis, à sa droite et à sa gauche, deux corps étendus sur les couchettes, mais des ombres de corps immobiles dans les ténèbres.
 
Il n’eût pu dire où était le marquis, où était Chéri-Bibi.
 
La voix de celui-ci vint bientôt le fixer :
 
« Assieds-toi là, la Ficelle ! »
 
On lui poussa une chaise, sur laquelle il se laissa tomber en murmurant :
 
« Chéri-Bibi !
 
– Alors, tu as voulu me voir avant de partir, mon pauvre garçon ?
 
– Mon pauvre Chéri-Bibi !… Tu as été bien malade, alors ?… Ça va-t’y mieux ?… Passe-moi ta louche, mon poteau !…
 
– Non ! Non ! fit entendre la voix du Kanak, resté derrière, il ne faut pas lui toucher la main ! Il ne faut pas le toucher !
 
– C’est défendu ! acquiesça Chéri-Bibi… Tu vois, paraît que j’ai la gale !
 
– On n’y voit seulement pas clair, là-dedans, gémit la Ficelle… Je voudrais bien voir ta figure… si t’as pas trop pâti…
 
– Pas de lumière ! C’est défendu pour le moment, fit encore le Kanak. Il ne faut pas fatiguer ses yeux.
 
– Mais qué qu’ t’as eu, bon sang de bon sang ?
 
– Je te dirai ça plus tard, la Ficelle… maintenant faut parler de choses sérieuses… et vite, vois-tu… car le Kanak, qui s’y connaît en médecine, ne veut pas nous donner plus de cinq minutes.
 
– Cinq minutes !… Comme ta voix est faible ! C’est à peine si je la reconnais !… Tu as dû souffrir, mon pauv’ vieux !
 
– Il est faible, c’est vrai, faut pas le fatiguer, dit le Kanak. Finissons-en !
 
– À propos du Kanak, dit Chéri-Bibi, avec une certaine difficulté, comme s’il éprouvait du mal à remuer la mâchoire, comme s’il était trop fatigué pour bien articuler les mots, à propos du Kanak, faut dire à Gueule-de-Bois et aux autres qu’il m’a bien soigné, qu’il m’a sauvé et qu’il faut qu’ils lui obéissent en tout et pour tout… Et maintenant, écoute-moi bien ! Le Kanak m’a sauvé la vie ! Ça vaut bien quelque chose. Y aura un million pour lui !
 
– Les autres ne voudront jamais, dit la Ficelle.
 
– Tu ne le leur diras pas, et ils ne le sauront pas !… Oui, le marquis, qui est généreux et que le Kanak a bien soigné aussi, est de mon avis : « Ça vaut un million. » Tu verras tes papiers. C’est six millions qu’on te donnera, dont un pour le Kanak, en dehors de tous comptes. Écoute encore ce que je vais te dire. Quand tu reviendras, j’espère bien être guéri, mais si je ne l’étais pas… faut tout prévoir… si… j’étais mort.
 
– Ne dis pas ça ! Ne dis pas ça !… J’aimerais mieux rester ! gémit la Ficelle.
 
– Enfin, s’il était arrivé un malheur soit au marquis, soit à moi, soit à tous deux, t’accomplirais mes dernières volontés en donnant le million au Kanak, sans que personne ne sache rien. C’est entendu ?
 
– C’est entendu ! » obtempéra solennellement la Ficelle…
 
Et il se tourna vers l’autre corps étendu dans l’ombre, de l’autre côté ; mais le marquis ne bougeait pas plus que s’il avait été mort.
 
Chéri-Bibi reprit avec un soupir :
 
« T’es malin, t’es prudent. Si tu suis bien tout ce que je t’ai écrit, tu ne cours aucun danger et ça se passera aussi facilement que le jour de paye, quand on touche son dû. On va te débarquer cette nuit. Ne te montre pas avant deux jours, quand nous serons déjà loin. Si on te demande tes papiers, tu diras que tu avais quitté le bord de l’Estrella au moment où elle faisait du charbon, pour courir une bordée, et que tu n’as plus rien sur toi. On t’a soûlé, t’es Français, tu demandes à ce qu’on te rapatrie… Enfin tu t’arrangeras.
 
– Oui, t’occupe pas de ça… je ne suis pas né d’hier… bien sûr… Tout se passera bien, aie pas peur !
 
– Je te connais, t’es débrouillard, mon vieux. Faudra pas languir… On te donne cinq mois jour pour jour. À partir de cinq mois, on t’attendra pendant vingt jours dans l’Australie du nord, dans un petit pays que je connais bien et qui est tranquille comme tout, à Palmerston ! C’est là qu’en tout cas tu m’enverras tes lettres à l’adresse que tu trouveras dans les papiers, poste restante, bien entendu ! Pour le retour, tu prends donc la ligne de Chine et tu t’arrêtes à Batavia. Il y a un service de vapeurs de Batavia à Palmerston. C’est compris ?
 
– C’est compris. Dans cinq mois ! Ce sera long sans toi !
 
– Après, on ne se quittera plus, mon vieux la Ficelle !…
 
– C’est fini ? demanda le Kanak.
 
– Oh ! encore un petit instant, quoi ! » supplia la Ficelle, qui se sentait des envies de pleurer.
 
Chéri-Bibi sembla faire un effort et il dit avec un gros soupir :
 
« Tu vas voir Cécily, tu as de la chance ! Enfin !… Regarde-la bien ! Embrasse-la bien pour moi avec tes yeux… et tu reviendras me dire si elle est toujours aussi belle. »
 
« Eh bien, pensa la Ficelle, il ne se gêne pas, Chéri-Bibi, devant le marquis ! »
 
Et il se tourna à nouveau du côté du marquis… Mais l’autre faisait toujours le mort.
 
« Il me fait peur, celui-là ! continua-t-il en a parte… pour sûr, il est déjà crevé. Pourquoi qu’il ne remue pas ? »
 
Mais le Kanak interrompit ses réflexions et le fit lever.
 
« Adieu, la Ficelle !
 
– Adieu, Chéri-Bibi !… Je voudrais bien t’embrasser avant de partir, n’y aurait pas moyen ?
 
– Non ! fit le Kanak.
 
– C’est bien ! C’est bien. On s’en va !… Adieu, Chéri-Bibi ; adieu ! porte-toi mieux ! »
 
Et il se laissa mettre dehors en éclatant en sanglots.
 
La nuit même, l’Estrella stoppait. Une chaloupe se détachait du bord et déposait bientôt la Ficelle sur un roc désert de la côte.
 
« Bonne chance ! lui cria le Kanak qui l’avait accompagné jusque-là.
 
– Bonne chance !… Soigne bien Chéri-Bibi, le Kanak, et je t’aimerai ! »
 
La chaloupe faisait déjà force de rames pour rejoindre l’Estrella dont on apercevait les feux à quelques encablures.
 
« Un million ! fit la Ficelle en songeant au Kanak. Eh bien, voilà un marchand de mort subite qui ne soigne pas les pauvres pour rien ! Il coûte cher d’ordonnances !… »
 
Et il s’enfonça dans la brousse…
 
F I N
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