h1.08 - Un homme dans la nuit
VIII
QUELQUES ÉTATS D’ÂME
QUELQUES ÉTATS D’ÂME
Lily, sur les indications d’Adrienne, cherchait dans les tiroirs d’une commode Louis XVI une broche à laquelle sa mère tenait beaucoup. Elle avait vainement exploré les coffrets où cette broche était ordinairement placée parmi d’autres bijoux. Elle s’étonnait de ne la point trouver. Adrienne commençait elle-même à montrer quelque inquiétude.
– Tu sais si j’y tiens, à cette broche, ma Lily. Ce fut le premier bijou que m’offrit ton père…
– Où peut-elle se trouver, ma mère ? Où l’avez-vous « rangée » ? demandait Lily cherchant toujours.
Soudain, Adrienne se rappela. Elle tendit une clef à Lily.
– Je me souviens maintenant ! Dans le coffret de cèdre, dans le dernier tiroir à droite.
Lily prit la clef et ouvrit le coffret. Elle trouva, en effet, la broche et se disposait à la remettre à sa mère quand elle poussa un cri d’étonnement.
Adrienne se retourna vers Lily. La jeune fille avait la broche dans une main et une photographie dans l’autre.
– Mère, fit-elle, vous ne m’avez jamais montré cette photographie ! C’est vous ! quand vous étiez très jeune ! Ah ! comme vous étiez jolie !
Adrienne était déjà auprès de sa fille et lui avait arraché la photographie des mains. Mais Lily demandait :
– Que signifie cette dédicace, mère ? cette dédicace en anglais : « À Charley, sa petite amie » ?
Adrienne semblait envahie d’un trouble inexprimable. Une pâleur mortelle se répandit sur ses traits décomposés. Elle se retourna pour que sa fille ne la vît point et remit la photographie dans le coffret, qu’elle referma soigneusement. Alors, elle put dire d’un ton qui s’efforçait d’être naturel :
– Ce fut un de mes amis d’enfance, Lily. Mais il a disparu depuis très longtemps. On n’a plus entendu parler de lui, jamais, jamais !…
– Charley ! fit Lily. Mère, je me souviens maintenant…
– Tu te souviens ! Tu te souviens de quoi ? demanda Adrienne d’une voix étranglée.
– Je me souviens qu’une fois vous avez dit ce mot : « Charley ! » il y a quelques années au Siam devant mon père, et que cela parut lui causer beaucoup de peine, car il montra une grande agitation.
– Oui, fit sourdement Adrienne, ton père a beaucoup connu Charley… Mais il ne faut plus prononcer jamais ce nom-là… il ne faut plus évoquer ce souvenir… jamais ! jamais !
– Jamais, ma mère, répondit Lily, soudain grave.
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Au fumoir, dans son fauteuil, Pold se répétait :
– « Zut ! » « Zut ! » Elle m’écrit : « Zut ! » Et moi qui étais si heureux quand le père Jules m’a remis cette lettre, sa lettre. Je reconnaissais son parfum. C’était la première lettre d’elle ! Elle s’apitoyait donc enfin ! Elle se rappelait que j’existais !… Oui, mais pour m’écrire : « Zut ! »
Et il revécut la semaine qu’il venait de passer.
Son bonheur d’avoir possédé Diane s’était changé bientôt en un désespoir sombre, car il voulait la posséder encore, et ce fut en vain.
Dès le lendemain, il avait écrit une lettre délirante à Diane pour lui dire qu’il l’aimerait toute sa vie, qu’il lui appartenait jusqu’à la mort, et même jusque dans l’éternité. Toutes les niaiseries, toutes les sentimentalités que lui inspirait son amour d’adolescent, il les mit dans cette lettre. Il lui demandait un rendez-vous, affirmant qu’il mourrait s’il restait vingt-quatre heures sans la voir.
En même temps, il s’était entendu avec Martinet pour l’ameublement d’un petit rez-de-chaussée de garçon, dans le quartier de l’Europe. Il avait raconté au tapissier ce qui s’était passé pendant qu’il cuvait son ivresse, moins, bien entendu, les déclarations de tendresse de Mme Martinet.
Le tapissier avait déclaré qu’on ne lui ferait jamais avaler de pareilles sornettes, mais que ce n’était pas son affaire et que, du moment que les billets de mille étaient là et que sa femme n’y voyait pas d’inconvénient, il n’avait plus qu’à accomplir sa besogne. Et il s’était mis au travail pour Pold, qu’il commençait à chérir de tout son cœur, lâchant des commandes importantes.
Mme Martinet avait revu Pold, une fois, au magasin, mais elle ne lui avait pas adressé la parole, ce qui lui valut une scène de son mari. Celui-ci lui déclara qu’il ne tolérerait pas qu’elle montrât une animosité plus prolongée envers un jeune homme de famille qui voulait bien l’honorer de son amitié.
Pold attendait toujours la réponse de Diane. Cette réponse ne vint pas. Il en fut stupéfait. Il attendit deux jours, trois jours. Rien. Il erra autour de l’hôtel de l’avenue Raphaël. Il n’aperçut point Diane. Il osa se risquer à aller sonner à sa porte. Il fut grossièrement éconduit par un larbin.
– Madame n’est pas là, lui déclara-t-on.
– Je sais qu’elle y est.
– Elle n’y est pas pour vous !
Et on lui avait claqué la porte sur le nez. Il s’était retrouvé sur l’avenue, dans un désarroi indescriptible. Il poussait des cris de rage.
– La misérable ! La misérable ! Elle me fait chasser ! Et je croyais qu’elle m’aimait !
Il se donnait des coups de poing sur la tête.
– Je l’aurai de force ! de force ! comme l’autre jour ! Je me ferai plutôt tuer, mais je la veux ! Je reprendrai le même chemin…
Et il s’avança du côté du mur qu’il avait déjà escaladé. Quelle ne fut pas sa stupéfaction en apercevant, au-dessus de ce mur, une haute grille qu’on venait d’y poser !
Il fit : « Oh ! »
Et il resta atterré.
– Elle ne veut plus de moi ! C’est fini ! Elle ne veut plus de moi !
Et il s’en était retourné effroyablement triste.
Non, elle ne voulait plus de lui. La scène d’amour de l’autre nuit avait été pour elle une surprise, comme la scène de terreur qui l’avait précédée. Elle ne s’était pas donnée. Elle s’était laissé prendre. Mais, aussitôt qu’elle se fut reconquise, elle comprit l’imprudence qu’elle venait de commettre en ne se défendant pas, et elle avait renvoyé tout de suite Pold, très vite, tremblant qu’il ne fût aperçu.
– Si le prince savait cela ! se disait-elle.
Or le prince le sut, puisque, dès l’après-midi même, elle reçut une lettre dans laquelle il lui disait :
« Madame,
« Je vous serais reconnaissant de faire poser immédiatement une grille au-dessus du mur de votre jardin. Et surtout ne revoyez jamais plus, ne recevez jamais plus le jeune fou auquel vous avez permis si facilement, ce matin, de vous prouver son amour.
« Mettez cela, madame, sur le compte de la jalousie. »
C’était signé « Agra ».
L’étonnement de Diane de ce que le prince fût si vite et si bien renseigné n’égala point sa rage. Elle maudit son aventure et proféra mille malédictions à l’adresse de celui qui avait failli être la cause d’une catastrophe. C’en eût été une qu’une rupture avec le prince, car, bien qu’aucun contrat ne fût intervenu entre eux, Diane considérait qu’elle lui appartenait tout entière depuis le don du collier.
– Heureusement, il me pardonne ! se disait-elle. Il est aussi magnanime qu’il est beau. Il ne connaît point les rancunes des autres hommes…
Et il grandit encore dans son esprit et dans son cœur.
Quant à Pold, elle le chassa de son souvenir comme elle devait le faire chasser de son seuil. Si le prince n’avait rien su, elle lui eût peut-être pardonné, elle lui eût peut-être montré, un jour, de la pitié… Maintenant, Pold n’existait plus pour Diane, et, comme elle reçut une lettre dernière dans laquelle il lui annonçait des résolutions extrêmes, des actes de folie, où il lui servait le « coup du suicide » elle lui jeta à la poste ce mot : « Zut ! »
Pold, dans le fumoir, mâchonnait son cigare, songeant toujours à ce « Zut ! » qui tuait sa dernière espérance. À l’autre coin de la pièce, son père, et Raoul de Courveille tenaient conversation. Pold écouta. Raoul de Courveille disait :
– Nous y allons. C’est le 15. Je suis chargé par Diane de vous rappeler qu’elle vous a invité et qu’elle compte absolument sur vous. Vous n’avez pas vu le prince. Ce sera une occasion de faire connaissance avec lui. Vous savez que les « tableaux vivants » de Diane sont très courus. Cette fois, on s’arrache les invitations, non à cause des tableaux, mais à cause du prince. Il faut venir.
Lawrence hésita encore.
– Êtes-vous sûr que le prince y sera ? demanda-t-il.
– Absolument sûr. C’est là qu’il doit faire sa seconde apparition. Ne lâchez pas une occasion pareille.
La curiosité l’emporta.
– C’est bien, décida Lawrence, j’irai…
Pold avait jeté son cigare :
– Le 15 ! Papa y va ! Eh bien, moi aussi, j’irai ! Seulement, si papa y va pour le prince, moi, j’irai pour Diane !…
Il se gratta l’oreille :
– Y aller ! Mais comment ? On va certainement me fiche à la porte… Bah ! je trouverai bien !… Demain, j’irai demander conseil à Martinet.